vendredi 11 septembre 2015

Abdelhamid Laghouati (poème + analyse)


Bonjour à vous,

Dans ma précédente publication (du vendredi 7 août), je vous avais informés de la teneur et de l'état d'avancement de mes projets poétiques, et que certaines choses - potentiellement intéressantes pour vous - allaient être ici bientôt partagées. Eh bien, en voilà une :

Je vous propose de découvrir un poète francophone actuel d'origine algérienne, Abdelhamid Laghouati, à travers un poème et une analyse. 
Un poème extrait d'un petit recueil de l'auteur intitulé 'Fleurs de murs', un titre à l'image de sa poésie avec ce goût pour l'entrechoquement de "couleurs" opposées et la torsion du langage, la complexité du sens au profit de l'interprétation et les raccourcis formels qui en disent pourtant longs sur le fond. 
Et donc une analyse effectuée par mes soins dans le cadre d'une étude approfondie de ce recueil de 19 poèmes et qui m'a permis de découvrir toute la richesse et tout l'engagement du poète. Attention toutefois, cette analyse ne se veut pas être l'interprétation parfaite du poème mais elle a été faite dans le souci d'être fidèle au sens que l'auteur a voulu lui donner.

Mais trêve de présentation, voici donc ci-dessous "Parfums" (extrait de 'Fleurs de murs' d'Abdelhamid Laghouati) accompagné de son analyse. En espérant que cela vous intéresse.

À bientôt, chers lecteurs !
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Parfums

Fleurs de murs
lézardées par le vent
humiliées par le hasard
Fleurs de murs
pans écroulés sur des odeurs
de femmes
avec pour péril
l'instinct
Fleurs de murs
déserts trahis
par des traces de
sang
blessures caravanières
aux bivouacs
imaginaires
Fleurs de murs
parfums de solitude
sous l'aisselle de l'artiste.


Analyse :

Les « fleurs de murs » représentent les femmes algériennes liées à une culture qui les emprisonne en un ensemble de contraintes leur collant à la peau. Comme d’épais habits trop serrés, ces « murs » couvrent donc ainsi les « fleurs » que sont les femmes algériennes. Le « vent » qui souffle contre elles est celui d’un faux destin, sous lequel elles sont « lézardées » comme si cela leur infligeait des blessures, à travers ces « murs ». Ce faux destin que la culture algérienne a inventée et imposée aux femmes prend son sens dans la façon dont les hommes leur imposent le respect de mœurs comme des contraintes. Ces contraintes sont les fruits de cette culture et non pas de la volonté divine et d’un destin qui lierait à cette dernière les femmes algériennes. Les femmes algériennes sont donc ainsi « humiliées par le hasard », du fait que leurs blessures liées à ces contraintes imposées ne sont pas nécessaires du point de vue de Dieu (et de l’ordre naturel qu’Il a prévu). 

Les « pans écroulés sur des odeurs de femmes » représentent les contraintes qui pèsent de façon oppressante dans leur quotidien et qui étouffent leurs « odeurs » , c'est-à-dire les parfums d'amour et de liberté qu'elles portent sur elles, au point qu'elles ont fini par n'en plus rien sentir et par en perdre ainsi le sens-même de l'amour et de la liberté, comme le souligne l'expression « avec pour péril l'instinct » .

Les « déserts » représentent ici le calme et la grandeur, qualités qui définissent bien les femmes algériennes aux yeux du poète. Mais c’est tout autrement que celles-ci éprouvent leur vie au quotidien dans leur culture et face aux hommes. Ces « déserts » qu’elles incarnent sont « trahis par des traces de sang », au sens où elles sont si réduites en importance et rabaissées à un rang inférieur qu’elles en gardent à l’intérieur de soi des blessures qui restent toujours vives. Cela remet donc en question la grandeur et le calme des femmes algériennes, que le poète voit comme des qualités qui leur sont propres et fidèles, ce qui est souligné par le mot « trahis » pour dire qu’il y a eu atteinte à cette fidélité de soi. Ainsi blessées dans leur grandeur et leur calme, la souffrance intérieure des femmes algériennes les conduit à se réfugier dans le rêve (impossible ?) d’une vie meilleure pour elles. C’est donc dans les « déserts » qu’elles incarnent que cette souffrance serait donc la représentation de « blessures caravanières aux bivouacs imaginaires », « caravanières » renvoyant donc à "ce qui conduit" et « bivouacs imaginaires » au refuge du rêve.

Ces « fleurs de murs » que sont les femmes algériennes ont, comme nous l’avons déjà abordé dans le second paragraphe, des parfums. Des parfums d’amour et de liberté qui, parce qu’ils ont été étouffés sous les contraintes d’une culture où ces femmes sont insignifiantes, n’ont plus d’autre odeur que celle de la solitude. Ces « fleurs « ont donc des « parfums de solitude » (et la solitude reflète aussi les « déserts » qu’elles incarnent) mais ces parfums sentent si mauvais que le poète (ou d'autres artistes, d'ailleurs), impliqué au plus près dans la cause des femmes algériennes, est touché par cette odeur à tel point qu’il écrit qu’elle sent jusque « sous l’aisselle de l’artiste ».
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